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Charles A. Kupchan : « Israël a tous les droits de mener une campagne militaire »

Tribune- À la suite des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, Israël a toutes les raisons et tous les droits de mener une campagne militaire soutenue visant à démanteler le groupe terroriste. Et les Israéliens semblent déterminés à le faire.

Il leur faut toutefois également tenir compte des paroles de prudence formulées par le président américain Joe Biden. Lors de sa visite du 18 octobre à Tel-Aviv, Biden a exprimé de l’empathie pour la colère ressentie par les Israéliens. « Je comprends, et beaucoup d’Américains comprennent », a-t-il déclaré. Mais Biden a également conseillé aux Israéliens de ne pas se laisser submerger par leur colère. « Après le 11 septembre, nous étions enragés aux États-Unis », a-t-il confié, « et bien que nous ayons recherché la justice et obtenu la justice, nous avons également commis des erreurs ». Deux jours plus tard, lors d’une allocution télévisée en première partie de soirée, Biden réaffirmait l’importance pour le gouvernement israélien de « ne pas se laisser aveugler par la colère ».

Que signifierait concrètement pour Israël suivre les conseils de Biden ? Quelles leçons le gouvernement israélien devrait-il tirer des erreurs stratégiques commises par les États-Unis après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ?

Premièrement, bien qu’il soit naturel qu’Israël emploie ses capacités militaires pour viser des cibles militaires précisément définies – dirigeants du Hamas, centres de commandement, caches d’armes et tunnels – les dirigeants israéliens ne doivent pas se faire d’illusions sur la capacité de la force brute à produire le résultat politique souhaité. En Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont appris à leurs dépens que la supériorité de la force militaire, utile pour éliminer les adversaires, n’aboutissait que rarement à l’objectif politique escompté.

Malgré deux décennies d’implication américaine coûteuse, l’Afghanistan est aujourd’hui de nouveau aux mains des talibans, et l’Irak en proie aux dysfonctionnements politiques ainsi qu’aux clivages communautaires. Bien qu’Israël n’ait pas d’autre choix que d’utiliser la force pour neutraliser le Hamas, il va également lui falloir recourir à d’autres instruments – diplomatie, aide humanitaire et opportunités économiques – pour façonner la suite des événements.

Deuxièmement, bien que la campagne militaire israélienne en soit encore à ses débuts, il est nécessaire que les dirigeants politiques commencent à planifier la gouvernance de l’après-Hamas à Gaza. Les États-Unis ont été pris au dépourvu après le démantèlement de l’ancien ordre en Irak et en Libye ; le manque de préparation dans la construction de quelque chose de nouveau n’a produit que le chaos.

Israël doit se préparer dès maintenant pour le jour où les combats cesseront. Se tournera-t-il vers l’Autorité palestinienne pour administrer Gaza ? Quel rôle jouera l’ONU ? Ne serait-il pas plus judicieux de réunir une coalition de volontaires – tels que les États-Unis, l’Union européenne, l’Égypte et le Qatar – pour superviser la reconstruction et la gouvernance, à tout le moins au début ? C’est maintenant qu’il faut commencer à aborder ces questions.

Troisièmement, même en lançant une campagne militaire intense contre le Hamas, Israël doit limiter dans la mesure du possible les dommages causés aux infrastructures physiques et institutionnelles de Gaza, sans quoi Israël risque de condamner la population restante à une souffrance prolongée, voire à un effondrement de la société.

Lorsque les États-Unis ont imprudemment démantelé les institutions gouvernementales de l’Irak, ils ont créé les conditions du chaos, d’une insurrection sunnite tenace, ainsi que de l’influence croissante de l’Iran. Après des résultats désastreux pourtant bien visibles en Irak, l’OTAN a poursuivi en détruisant les fondations politiques de la Libye, avec pour conséquence un État failli, exploité par des groupes extrémistes et soumis à une division tribale prolongée. Si Israël détruit une grande partie de Gaza, il faudra s’attendre à voir surgir des décombres un radicalisme et extrémisme des plus violents.

Enfin, Israël doit raisonner à long terme, en gardant à l’esprit que les États-Unis continuent de souffrir des dommages durables causés par leurs erreurs stratégiques au Moyen-Orient. Le renversement du gouvernement irakien a renforcé l’Iran, qui peut désormais compter sur de puissants intermédiaires, dont le Hamas, dans l’ensemble de la région. L’Afghanistan a également sombré dans un cauchemar humanitaire après le retrait américain.

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Par ailleurs, la réputation des États-Unis ne s’est jamais remise des images de mauvais traitements infligés aux prisonniers à Abu Ghraib, des rapports sur les techniques d’interrogatoire « musclées » de la CIA, de l’incarcération pour une durée indéterminée des prisonniers de Guantánamo à Cuba, ou encore des nombreuses frappes de drones qui ont coûté la vie à des civils innocents. Ces pratiques, entre autres, ont durablement terni l’image du pays dans l’opinion mondiale.

 

Israël se bat déjà contre vents et marées sur ce même terrain. Bien qu’Israël soit en droit de se défendre, et que les meurtres et enlèvements commis par le Hamas justifient une riposte forte, il est nécessaire que les Israéliens fassent tout leur possible pour respecter le droit humanitaire international. Cela signifie réduire au minimum les pertes de vies civiles, tout en assurant un flux constant de médicaments, de nourriture et de carburant vers Gaza.

 

L’exercice d’une telle retenue atténuera la colère politique généralisée que la poursuite de la campagne d’Israël contre le Hamas est susceptible de susciter. Cette retenue limitera également le risque de voir le conflit dégénérer en guerre régionale, facilitera le maintien des accords d’Abraham, qui ont établi des relations diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc ainsi que le Soudan, et permettra éventuellement à Israël et à l’Arabie saoudite de reprendre les discussions autour d’une normalisation diplomatique.

 

La conduite de la guerre par Israël à Gaza façonnera également la nature de sa future relation avec la communauté palestinienne. L’attaque odieuse du Hamas, et la nouvelle vague de violence qu’elle a déclenchée, ont révélé que le statu quo précédent était intenable. Étant donné leur coexistence géographique, les Israéliens ne seront jamais en sécurité tant que les Palestiniens ne le seront pas, et vice versa. Les deux peuples devront tôt ou tard travailler ensemble pour garantir une solution à deux États, qui produise une paix durable. Espérons que la tragédie du conflit actuel rappellera cette réalité aux Israéliens et aux Palestiniens.

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Charles A. Kupchan, membre principal du Council on Foreign Relations, et professeur d’affaires internationales à l’Université de Georgetown, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Isolationism: A History of America’s Efforts to Shield Itself from the World (Oxford University Press, 2020).

 

Copyright: Project Syndicate, 2023.
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