En concluant la rencontre internationale sur la protection des mineurs dans l’Église ce dimanche, au Vatican, le Pape François a fermement condamné les «abominations» que constituent les abus sur mineurs, -sous toutes leurs formes-, et derrière lesquels se cache «la main du mal» qui n’épargne pas l’innocence des petits.
Manuella Affejee- Cité du Vatican
Le Pape a pris la parole après la messe célébrée dans la salle Royale du Vatican, à laquelle ont participé tous les présidents des conférences épiscopales, les patriarches des Églises orientales, les responsables de la Curie romaine, supérieurs et supérieures généraux des congrégations religieuses conviés à cette rencontre inédite.
Le Souverain Pontife a d’abord tenu à rappeler combien le phénomène des abus sur mineurs était «historiquement répandu, dans toutes les cultures et les sociétés», connu de tous mais tabou, et donc peu ou pas dénoncé. Les statistiques publiées aujourd’hui demeurent parcellaires, mais elles donnent tout de même une idée de l’ampleur de ce fléau qui frappe surtout les familles, ou les milieux de l’école et du sport, pour ne citer qu’eux.
Le mystère du mal
Mais attention, précise le Pape: l’universalité de ce problème «n’atténue pas sa monstruosité à l’intérieur de l’Église», touchée elle aussi de plein fouet. Le scandale en est même plus éclatant, au regard de l’autorité morale qu’elle représente. Aussi, lorsqu’une personne consacrée, choisie par Dieu, «se laisse asservir par sa propre fragilité humaine», elle devient l’instrument de Satan, assène François avec gravité. Dans la colère légitime que les abus suscitent, l’Église voit un «reflet de la colère de Dieu, trahi et frappé par ces consacrés malhonnêtes». «L’écho du cri silencieux des petits, qui au lieu de trouver en eux une paternité et des guides spirituels ont trouvé des bourreaux, fera trembler les cœurs anesthésiés par l’hypocrisie et le pouvoir. Nous avons le devoir d’écouter attentivement ce cri silencieux étouffé». Devant ce mystère du mal, l’Église veut s’engager pleinement et résolument dans ce combat contre les abus, qui touchent le cœur même de sa mission : «annoncer l’Évangile aux petits et les protéger des loups avides». Et le Pape le promet: si l’Église détecte en son sein un seul cas d’abus, elle l’affrontera sans vaciller.
Mesures spirituelles
Ces «abominations» que l’on inflige aux enfants, -et le Pape parle ici de tous les abus dont ils sont victimes-, sont comparables aux sacrifices humains pratiqués dans le passé au sein de certaines cultures. Aujourd’hui, ces petits sont présentés en offrandes sur les autels «du pouvoir, de l’argent, de l’orgueil, de l’arrogance». Aucun explication empirique ne pourra jamais éclairer complètement cette cruauté, ni sa signification. Mais pour le Pape, ce phénomène n’est rien de moins que «la manifestation flagrante, agressive et destructrice» du malqui se sent «maitre du monde et pense avoir vaincu». «Dans ces cas douloureux, a encore ajouté François, je vois la main du mal qui n’épargne même pas l’innocence des petits». Cette réalité impose de prendre des «mesures spirituelles», en plus de celles pratiques proposées par la société: l’humiliation, la prière, la pénitence. Ce sont elles qui aident à vaincre l’esprit du mal, comme Jésus l’a fait.
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Les écueils à éviter
L’Église, par la voix du Souverain Pontife, se donne donc pour objectif d’écouter, protéger et soigner les «mineurs abusés, exploités et oubliés, où qu’ils se trouvent». Il faut pour cela se mettre «au-dessus des polémiques idéologiques et des politiques journalistiques qui instrumentalisent souvent, pour des intérêts divers, même les drames vécus par les petits».L’heure est à la collaboration «pour éradiquer cette brutalité du corps de l’humanité», en évitant de sombrer dans un justicialisme mû par le sens de la faute et la pression médiatique et l’autodéfense «qui n’affronte pas les causes et les conséquences de ces graves délits».
7 stratégies
L’évêque de Rome mentionne tout un ensemble de mesures, appelé «INSPIRE», validé par l’OMS et un groupe d’agences internationales, soit 7 stratégies pour «mettre fin à la violence contre les enfants» qui inspireront le travail de l’Église, nourri par ce qui a déjà été accompli.
Parmi ces points, la protection des enfants de tout abus psychologique et physique; un engagement qui requiert un «sérieux irréprochable»: «je voudrais redire ici que l’Église ne se ménagera pas pour faire tout ce qui est nécessaire afin de livrer à la justice quiconque aura commis de tels délits. L’Église ne cherchera jamais à étouffer ou à sous-estimer aucun cas», a affirmé le Pape.
Reconnaître ses manquements
Autre point fondamental: la purification, qui nécessite de «s’accuser soi-même» et non les autres, de reconnaître ses manquements, ses faillites, ses erreurs, «comme personne et comme institution». «Malgré les mesures prises et les progrès faits en matière de prévention des abus, il convient d’imposer un engagement perpétuel et renouvelé à la sainteté des pasteurs dont la configuration au Christ Bon Pasteur est un droit du peuple de Dieu». Une formation équilibrée des candidats au sacerdoce revêt en cela une importance cruciale.
Le Pape insiste également sur l’unité des évêques «dans l’application de mesures qui ont valeur de normes et non pas uniquement d’orientations». «Aucun abus ne doit jamais être couvert (comme ce fut le cas par le passé) et sous-évalué, étant donné que la couverture des abus favorise l’expansion du mal et ajoute un nouveau scandale», a-t-il rappelé.
Accompagner les victimes
Une attention toute particulière doit être portée aux victimes, qu’il faut accompagner. Les blessures «indélébiles» qui leur ont été faites peuvent mener à l’autodestruction; l’Église a, en conséquence, le devoir de leur offrir tout le soutien nécessaire. Ne pas avoir peur de «perdre du temps» dans l’écoute dans leurs souffrances.
Monde digital et tourisme sexuel
Les abus sur mineurs dans les contextes du monde digital et du tourisme sexuel attirent également l’attention du Saint-Père : «nous devons nous engager afin que les jeunes gens et les jeunes filles, en particulier les séminaristes et le clergé, ne deviennent pas des esclaves de dépendances fondées sur l’exploitation et l’abus criminel des innocents et de leurs images et sur le mépris de la dignité de la femme ainsi que de la personne humaine». Il rappelle également les normes édictées par Benoît XVI en 2010, qui avaient ajouté comme nouveau délit : «l’acquisition, la détention ou la divulgation» par un clerc «d’images pornographiques de mineurs […], de quelque manière que ce soit et quel que soit l’instrument employé». L’âge du mineur en question était alors établi à 14 ans. «À présent nous estimons nécessaire de hausser cette limite d’âge pour étendre la protection des mineurs et insister sur la gravité de ces faits», a précisé le Pape.
Remerciement au saint Peuple de Dieu
Le Pape François a enfin conclu sa longue intervention en remerciant les prêtres, religieux, religieuses et consacré(e)s «qui servent le Seigneur fidèlement, et qui se sentent déshonorés et discrédités par les comportements honteux de quelques de leurs confrères». Il exprime également sa gratitude au saint Peuple de Dieu, qui dans un silence quotidien et sous plusieurs formes, continue de témoigner que le Seigneur n’abandonne pas. «Ce sera précisément ce saint Peuple de Dieu qui nous libérera du fléau du cléricalisme, terrain fertile de toutes ces abominations».
En appelant l’Église à une conversion personnelle et collective, le Pape enjoint aussi toutes autorités et tous les individus concernés à s’emparer de la lutte contre les abus sur mineurs, afin d’éradiquer «ces crimes abominables de la surface de la terre».
Lire ici l’intégralité du discours du Pape.
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