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Pauline Eyébé Effa, spécialiste de l’économie sociale : « Le Togo a tracé le boulevard pour changer l’essai »

Les bases  ont été  posées  les 6 et 7 juin  à Lomé mais le processus  pourrait être  long. C’est une évidence.  Au Cameroun, il a fallu  au moins neuf (9)  ans pour que le parlement adopte  la loi sur l’économie sociale. Le Togo vient de lancer le processus  avec l’accompagnement de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, convaincue que l’entrepreneuriat social  est un modèle  du présent et d’avenir et un gage de développement.  En marge  de la deuxième   Conférence internationale  sur les entreprises sociales tenue la semaine dernière au siège du groupe Ecobank Transnational Incorporated (ETI),  24heureinfo a rencontré l’artisan  de  la loi  au Cameroun,  invité pour appuyer les experts nationaux à élaborer des propositions de loi en faveur des entreprises sociales. Il s’agit de Pauline Eyébé Effa, spécialiste de l’économie sociale et  directrice générale  de l’ONG Partenariat France et Afrique pour le co-développement (PFAC).

Pour  elle,   le Togo  est sur la bonne voie. Au regard de la volonté politique affichée du gouvernement,  le pays peut rentrer dans les années à venir  dans le cercle des pays disposant d’une politique agissante de promotion de « l’entrepreneuriat social », l’économie solidaire, un modèle  par  « excellence » pour lutter efficacement contre la pauvreté.  

Dans cette interview,la directrice générale  de l’ONG Partenariat France et Afrique pour le co-développement (PFAC) revient sur le processus au Cameroun, un modèle qui peut inspirer le gouvernement togolais.

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24heureinfo.com : Bonjour, le Cameroun votre pays a adopté la loi sur l’économie sociale. Le chantier de la décentralisation a beaucoup avancé dans le pays, mais le processus d’adoption de cette loi a été long. Pourriez-vous expliquer cette réalité ?

Pauline Eyébé Effa : Le processus d’adoption de  loi sur l’économie sociale au Cameroun a été effectivement long. Parce qu’il fallait convaincre le gouvernement de l’importance du modèle. Aussi, faut-il intégrer l’entreprenariat social(ES) dans le modèle économique qui est à notre portée et qui est l’économie sociale et solidaire (ESS).  Le  concept d’économie sociale et solidaire renvoie à cette démarche de valorisation des activités que mènent les petits acteurs de développement à la base. Il faut donc créer des dynamiques inclusives dans les territoires pour renforcer ces activités et créer des richesses localement en contribuant à l’autonomisation de ces petites mains qui, en restant isolées, demeurent vulnérables.

Lire aussi : 2e conférence sur l’entreprenariat social au Togo : des recommandations à l’endroit du gouvernement et des partenaires

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24heureinfo.com : Alors comment le processus s’est  déroulé ?

Nous avons commencé à nous organiser à la base, parce  que  le principe de l’ESS, c’est  depuis le local. C’est pourquoi,  nous avons commencé par  dynamiser les acteurs au niveau de la base. Cette stratégie, en ce moment-là, a interpellé nos décideurs, les pouvoirs publics, les politiciens, le gouvernement, qui après tout, a toujours  exprimé la volonté de faire mieux pour les populations. Et au Cameroun,  nous avons pu nous organiser en instaurant dans chaque commune, un réseau local d’ESS,- réseau local d’économie sociale et solidaire (RELESS). La mise en place du réseau local d’ESS a interpellé les maires. Ils se sont constitués, à cet égard, après des concertations fructueuses, en réseau, dénommé Réseau des maires camerounais pour l’économie sociale et solidaire (REMCESS) devenu plus tard une organisation africaine.

C’est à  partir de ce moment que nous avons pu nouer des partenariats pour alimenter la réflexion. Le processus a touché les parlementaires qui s’étaient  également mis en réseau donnant  ainsi une  chance au processus, qui était en souffrance depuis 2010 d’aboutir. Outre les réseaux des parlementaires et des élus locaux, le plaidoyer auprès du premier ministre, qui a repris la question en main, a contribué à l’adoption de la loi en avril dernier.

24heureinfo.com : Quels sont les avantages que les entreprises sociales vont tirer de cetteloi?

D’abord le secteur dispose d’un cadre légal et règlementaire.  Au Cameroun, la loi a renforcé le fonctionnement  du  ministère de l’économie sociale  désormais doté  de moyens pour mener la politique fixée par le gouvernement. Cette loi va permettre un meilleur encadrement des acteurs de développement à la base. Comme au Togo,   sans cadre juridique approprié, sans cadre réglementaire, le gouvernement n’aura pas de marge de manœuvres pour vraiment booster le secteur. Or, c’est un secteur d’avenir pour nos pays. Parce qu’en prenant,  comme exemple,  la   consommation  en occident, on recherche la traçabilité, on consomme avec du sens, c’est-à-dire qu’on fait attention à l’origine des produits et l’origine de tous ces produits  c’est l’Afrique, le continent de la matière première. L’Afrique peut tirer notre épingle du jeu, par rapport à cette nouvelle donne de la consommation  qui se développe partout en occident, je crois que c’est même un boulevard pour nous.

 24heureinfo :   Qu’elle pourrait être la motivation  pour un gouvernement d’adopter une loi sur l’économie sociale ?

L’objectif d’un gouvernement, quand il s’agit des administrés, c’est de réduire la pauvreté. Or, c’est le premier objectif de l’entreprise sociale : faire des bénéfices, faire autant de bénéfices qu’elle veut. La question qui se pose et qui la différencie de l’entreprise classique, c’est que l’entreprise  classique ne fait que du chiffre, c’est du profit alors que l’entreprise sociale  est essentiellement orientée vers le bien-être des populations, c’est le social.  D’ailleurs on souhaiterait même que l’entreprise sociale fasse plus de bénéfices que l’entreprise classique. Parce que le social a un coût, la santé a un coût, l’école a un coût, l’amélioration de son habitat a un coût. Alors, si on a un modèle d’entreprise comme tel, qui peut permettre une meilleure amélioration des conditions de vie des populations, que demander de plus ?

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24heureinfo: Avec cette  conférence sur une telle thématique,vous voyez le Togo  sur la bonne voie ?

Bien sûr.  Le  Togo a tracé le boulevard pour changer l’essai. Le simple fait que nous nous retrouvions en conférence, veut dire que le  brainstorming  a commencé.  Moi, je pense que c’est un pays de plus qui entre dans le  cercle,  le simple fait que le Togo ait engagé la discussion en ce sens. Une fois qu’on a dit le mot, l’action va suivre. J’ai remarqué, à travers cette conférence,  que les  jeunes se sont plus engagés. Les jeunes, c’est la force vive de l’Afrique, et nous pensons que s’il y a des jeunes et des femmes qui sont toujours les figures de proue de cette économie, l’objectif sera atteint. Chaque jeune qui était dans cette salle peut développer quelque chose en entreprise  sociale à partir de son background.

24heureinfo ; Décentralisation rime  avec économie sociale et solidaire. De manière précise, comment l’économie sociale peut-elle participer à l’effectivité de la décentralisation au  Togo  surtout que le pays s’apprête à organiser des élections municipales ?

Sur un plan local, l’économie sociale et solidaire crée un écosystème à travers un cadre inclusif et dynamique. Le  réseau local d’économie sociale et solidaire (RELESS) au Cameroun, par exemple, donne la visibilité à l’exécutif communal sur le potentiel économique existant sur le territoire. Ceci permet au maire de s’engager pour créer des richesses localement. La commune a vocation à accompagner cette dynamique afin d’en faire un partenaire économique à part entière. Tout le monde y gagne. N’est-ce pas là l’une des priorités de la démarche de décentralisation ? Permettre l’autonomisation des Communautés ?

24heureinfo : Quels sont les leviers à activer pour booster l’économie sociale et solidaire au Togo?

Le premier levier à actionner est la mise en place de l’écosystème qui crée ce cadre d’action. En d’autres termes, il faudrait aujourd’hui consolider l’existant. Au Cameroun dans  chacun des RELESS, il existe au moins une trentaine de sociétés coopératives, tous secteurs confondus. Ce sont des entreprises locales en gestation qui mobilisent déjà leurs parts sociales. Nous sollicitons en collaboration avec le REMCESS, des structures qui pourraient permettre cette consolidation, les intéressés ayant déjà fourni un effort pour mobiliser leur capital et ouvrir leur compte bancaire. La première personne vers laquelle elles se tournent généralement, c’est le maire. Le challenge aujourd’hui résidera dans l’accompagnement des départements ministériels.

 24heureinfo : Votre  institution et vous-même, êtes-vous disposées à accompagner le Togo ?

Très disposée à aider le Togo, disposée à accompagner vraiment  l’émergence de cette dynamique.

24heureinfo : Merci madame

C’est moi qui vous remercie.

Interview réalisée par Charles Djade

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