Afrique

Togo : Le regard d’un patriote qui aspire à la non-violence et au respect des règles professionnelles par Dr Wassité Yaknambé

 

 

Ces derniers temps, nous observons des agitations sociopolitiques dans la plupart des pays africains. Cela interpelle tout Africain soucieux du bien-être des populations et du vivre ensemble. C’est dans cette logique que s’inscrit Dr Wassité Yaknambé, auteur de cet article. En sa qualité de Sociologue et expert en la matière, il se fait le devoir de porter une analyse pertinente sur ce fait socio-politique qui prend de l’ampleur sur le continent africain.

Il semble être sérieusement mordu, transformé, inspiré par ce slogan  militaire : « Une armée qui excelle dans l’art, l’organisation du commandement et dans la victoire doit rester moins belliqueuse ». Partant de ce principe et ayant fait carrière au sein des Forces Armées Togolaises, l’auteur a réussi à concilier l’Armée et l’Université.

Son passage dans les Universités de Kara et Lomé lui permirent d’avoir successivement une Licence en Sociologie de l’Education, une Maîtrise dans la même spécialité, un Master en Sociologie du Développement et un Doctorat dans le même domaine. La thématique de sa thèse : « Dynamiques et perceptions des Forces onusiennes de la paix en Afrique Noire : les cas du Mali et de la Côte d’Ivoire ». Cette thèse porte sur la problématique des opérations de maintien de la paix et l’interaction entre les diverses forces onusiennes impliquées dans les opérations, les groupes armés et terroristes et les populations civiles.

Il a publié plusieurs articles scientifiques dans plusieurs Editions et sa thèse, quant à elle, a été publiée aux Editions Universitaires Européennes. Par ailleurs, il a été l’un des tous premiers soldats de carrière à soutenir une thèse de Doctorat dans une Université publique au Togo (2019) alors qu’il était encore en activité dans les Forces Armées Togolaises.

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RÉGIMES POLITIQUES ET RÉPRESSIONS MILITAIRES EN AFRIQUE

Que dire du terme « maintien de l’ordre public » (MO) ?

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Loin de faire une étude approfondie de maintien de l’ordre, il intervient lorsqu’il y a attroupement de personnes d’une manière spontanée ou organisée. En ce moment, la force publique intervient pour faire respecter la loi, afin d’assurer ou de rétablir la continuité des différentes activités d’une collectivité.

En effet, les pays africains dans lesquels le maintien de l’ordre est régulièrement activé sont des pays malades de la bonne gouvernance. Cependant, le maintien d’ordre peut servir d’argument pour restreindre les libertés individuelles. Or, une démocratie au sens propre garantit les droits des individus , notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne (article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme), le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un pays, le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et d’y revenir (article 13), toute personne aussi bien seule qu’en collectivité a le droit à la propriété et nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété (article 17), enfin, tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ces opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières,  les informations et les idées  par quelque moyen d’expression que ce soit (article 19).

Nous constatons que l’Etat de droit qui est un pilier fondamental de la démocratie n’est pas respecté, voire nié. C’est ce que démontre le classement en matière  de respect de l’Etat de droit de WJP (World Justice Project) en 2025 en baisse dans certains pays que voici : au Soudan (-4,4 %), au Mozambique (-3,9 %), au Togo (- 2,9 %), en Tunisie (- 2,7 %), au Niger (-2,7 %), en Ethiopie (-2,4 %), au Mali (-2,2 %) et au Burkina Faso (-2 %) pour ne citer que ceux là.

 

 

Le Chef Suprême des Armées

Voici les prérogatives et responsabilités du Président de la République ou le Président du Conseil des Ministres : sans trop de détails, le PR ou le PCM,

  • Préside les Conseils et Comités Supérieurs de la Défense Nationale ;
  • est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de la continuité de l’Etat ;
  • est également, dans certains pays, Ministre de la Défense Nationale.

L’intervention de la force policière sur le terrain avec sa panoplie de bavures

Les manifestations des populations, d’une manière générale, ont pour mobiles :

  • la répartition inégale des richesses du pays, créant du coup des classes sociales distinctes, l’une dite minoritaire qui est riche et l’autre majoritaire, pauvre ;
  • le tripatouillage des constitutions pour s’éterniser au pouvoir ;
  • la mauvaise interprétation des prérogatives et responsabilités du PR ou du PCM par les Forces de l’ordre ;
  • l’absence de communication entre la force publique et la population ;
  • la loyauté des militaires au PR ou PCM pour des avantages socioprofessionnels ;
  • des élections manipulées en faveur du pouvoir.

 

Les responsabilités partagées des dérapages policiers lors du maintien de l’ordre

 

  • Le Chef Suprême des Armées

Il est le 1er responsable de la violence inouïe de la répression, lorsqu’on le place dans ses prérogatives de Chef d’Etat. Par contre, il peut avoir des circonstances atténuantes, lorsque par exemple il ne dit pas aux acteurs de MO par le biais des différents ministères chargés de la sécurité ceci : « Ne faites  pas usage  des moyens conventionnels dans le maintien de l’ordre, tirez à balles réelles sur les manifestants et exercez sur eux des violences inhumaines et dégradantes ».

 

  • Le cas des forces de maintien de l’ordre sur le terrain

Il revient à cette classe des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de faire preuve de professionnalisme militaire et d’éthique. Lorsque l’éthique est absente, on ne parle plus de professionnalisme sur le terrain, mais plutôt de la maitrise de la tactique militaire, qui pourrait entrainer des dérives. Par exemple, au lieu de tirer en l’air pour disperser les manifestants, sans éthique l’on peut facilement orienter le canon vers la population manifestante. Mais lorsqu’on est dans l’impossibilité de manœuvrer, on peut toutefois faire un repli tactique. Ce geste d’un combattant ne fait pas du militaire  un faible ou un incapable, c’est une stratégie militaire pour permettre de se réorganiser en fonction de la posture des manifestants. Lorsque la revendication de la population est légitime et reconnue comme telle par les FDS, l’action devra être raisonnable.

C’est dans ce sillage que le feu Président Thomas Sankara du Burkina Faso disait : « Un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance ». C’est d’ailleurs ce qui nous a poussé à faire notre entrée en politique lors des élections régionales de 2024 au Togo, afin de nous rendre compte de la complexité et des enjeux des élections en Afrique, en général et dans mon pays en particulier.

Sur le terrain , lorsque les soldats (tout membre des Forces de Défense et de Sécurité) reçoivent l’ordre initial pour aller maintenir  l’ordre en face de leurs frères, sœurs, enfants, pères et mères…qui manifestent un mécontentement sur la mauvaise gouvernance de leur pays, nous n’avons pas la prétention que les Ministres en charge de la sécurité, le Chef d’Etat-major général, les Directeurs de groupements peuvent dans l’ordre initial énoncer aux soldats, une fois sur le terrain de tirer à balles réelles sur les manifestants, de massacrer, d’exercer des violences  inouïes, inhumaines et dégradantes. En principe dans ce cas de figure, le haut commandement décline toute responsabilité, avec une unique condition que les acteurs de ces actes soient punis conformément à la loi devant une juridiction militaire. Dans le cas contraire, le moment venu, tous les responsables en charge de la sécurité seront traduits devant les hautes juridictions.

On demande tout simplement aux soldats, une fois sur le terrain, d’analyser la situation et si possible faire abstraction à l’ordre initial. Car, ce sont eux qui sont en face de la mort, des intempéries, bref, des conditions de travail désastreuses.

Par ailleurs, ces agents doivent avoir à l’esprit que ce sont eux qui sont vus directement et par ricochet jugés, condamnés ; tandis que les donneurs d’ordre sont dans leurs bureaux, parfois, dans des conditions atmosphériques normales. Donc, il leur revient de remplir leur mission avec professionnalisme et éthique.

  • Implication de toute la chaîne en charge de la sécurité dans la répression des manifestants

En effet, une milice intervient du côté des Forces armées lorsque le pays est embrasé et l’armée manque de moyens logistiques (personnel, compétences …). En ce moment, l’action de cette milice est salutaire, mais à condition, qu’elle soit légiférée avec un acronyme, comme ce fut le cas de VDP au Burkina Faso (Volontaires  pour la Défense de la Patrie). Mais, lorsqu’elle est infiltrée dans une manifestation de la population civile, sans aucun ordre juridique, il va de soi que toute la chaîne de commandement assume les conséquences néfastes,  les actes inhumains orchestrés par cette milice.

A la différence ‘’des pays normaux’’, en  Afrique, presque tous les corps militaires participent au maintien de l’ordre, notamment les Forces Spéciales, l’Armée de l’Air, la Marine, la Garde présidentielle, les commandos parachutistes pour ne citer que ceux-là, qui, en principe, n’ont pas reçu de formation adaptée à la mission de maintien de l’ordre public, et cela contribue à aggraver la violence. Il est donc souhaitable d’en découdre avec ces différentes unités et de passer au choix des éléments pour la mission sur le terrain.

La plupart des Chefs d’États africains ont tourné le dos au processus de développement au profit de la soif et la pérennisation du pouvoir. En s’accaparant les richesses nationales, ils mettent la jeunesse sur une voie sans lendemain à travers des lois liberticides. C’est ainsi que le Sociologue français Michel Crozier a écrit : « on ne change pas la société par décret ». Cela s’explique par le fait que les changements sociaux ne peuvent pas être imposés de façon unilatérale et même abusive par des décisions administratives ou législatives parfois biaisées. Au contraire, le vrai changement dépend de l’implication des acteurs sociaux et du dialogue.

Aux Forces de Défense et de Sécurité en Afrique, mettez-vous en mémoire que les Chefs d’Etat se succéderont, vos interactions de retour à la vie civile dépendront de votre professionnalisme militaire et éthique lorsque vous étiez aux affaires.

 

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