
La reprise des travaux de la commission du Sénat enquêtant sur l’affaire Benalla a apporté, mercredi, son lot de révélations, notamment celles du directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, qui a implicitement accusé de faux Alexandre Benalla.
L’affaire Benalla au Sénat, acte II. En veilleuse depuis deux mois après 28 auditions entre juillet et octobre, la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla a entendu, mercredi 16 janvier, Patrick Strzoda, directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, et Christophe Castaner.
Soupçon de « falsification » pour une demande de passeport
Lors de son audition, Patrick Strzoda a multiplié les révélations en indiquant notamment que l’ancien chargé de mission de l’Élysée avait utilisé « presque une vingtaine de fois » ses passeports diplomatiques depuis son licenciement en juillet. « [Alexandre] Benalla a utilisé presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1er août 2018 et le 31 décembre 2018 », a précisé Patrick Strzoda devant la commission, ajoutant que la première utilisation de ces documents remontait au 7 août. Selon lui, Alexandre Benalla possédait cinq passeports, trois diplomatiques, et deux de service.
Le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron a aussi confié qu’il « soupçonnait une falsification » de l’ex-chargé de mission pour obtenir un passeport de service : « [Alexandre] Benalla a adressé au ministère de l’Intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, une note non signée de façon manuscrite », a-il souligné, en indiquant que la justice avait été saisie à ce sujet.
« Pour obtenir ce passeport, M. Benalla a adressé au ministère de l’Intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, une note non signée de façon manuscrite », a indiqué M. Strzoda devant la commission d’enquête du Sénat, en ajoutant qu’il « soupçonnait une falsification » de la part d' »un monsieur qui visiblement utilise régulièrement des faux pour obtenir un certain nombre de titres officiels »
Patrick Strzoda a également reconnu devant les sénateurs « des dysfonctionnements ou des manques de réactivité » concernant un téléphone sécurisé dont Alexandre Benalla est resté en possession après son licenciement.
Le directeur de cabinet a précisé avoir « hier soir », mardi, « déclenché une enquête interne » sur la question de la non-restitution de ce téléphone, révélée par Le Canard enchaîné dans son édition de mercredi. « L’enquête est en cours, j’en aurai très vite les résultats et j’en tirerai toutes les conséquences », a-t-il ajouté.
Patrick Strzoda a précisé que l’appareil – un Teorem fabriqué par Thales – « n’a été neutralisé que le 4 octobre », lorsque les services gestionnaires de ces appareils ont constaté que ce combiné « était manquant », à l’occasion d' »un inventaire périodique ». Toutefois, « nous pouvons affirmer qu’il n’a pas été utilisé depuis le 1er juillet », date à laquelle l’ancien chargé de mission a été licencié, a-t-il souligné.
Quel « rôle réel de M. Benalla dans une diplomatie parallèle » ?
La commission des lois du Sénat s’est vu attribuer les prérogatives de commission d’enquête pour six mois le 23 juillet dernier, soit jusqu’au 24 janvier.
Christophe Castaner, à l’époque délégué général du parti présidentiel LREM, et Patrick Strzoda avaient déjà été auditionnés en juillet. Le ministre de l’Intérieur a expliqué mercredi, de son côté, que ses services étaient dans l’impossibilité de « désactiver » les passeports diplomatiques de l’ancien collaborateur, en dépit d’échanges dès octobre avec le Quai d’Orsay.
« Techniquement, le ministère de l’Intérieur n’est pas en mesure, dès lors que ces passeports ne relèvent pas du ministère de l’Intérieur, de pouvoir empêcher leur utilisation sauf dans certains cas si on est sur une procédure notamment judiciaire »,a-t-il dit devant la Commission d’enquête sénatoriale.
De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui était entendu pour la première fois par la commission, s’est borné à donner des réponses techniques sur l’utilisation et les modalités d’invalidation des passeports diplomatiques.
Sont également programmées pour lundi de nouvelles auditions d’Alexandre Benalla, l’ex-chargé de mission de l’Élysée, et de son acolyte Vincent Crase, ex-employé de LREM et chef d’escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Les deux hommes avaient été mis en examen pour violence en réunion après des images montrant Alexandre Benalla frapper un manifestant en marge des défilés du 1er-Mai à Paris. Très vite, Alexandre Benalla était apparu comme un élément central du dispositif sécuritaire autour du couple présidentiel et l’affaire avait empoisonné l’été d’Emmanuel Macron.
Alors qu’on pensait le point d’orgue atteint avec l’audition polémique d’Alexandre Benalla le 19 septembre, l’affaire a rebondi fin décembre avec la révélation de l’utilisation par l’ex-chargé de mission de l’Élysée de deux passeports diplomatiques, après son licenciement en juillet.
Pour le président de la commission sénatoriale Philippe Bas (LR) et ses rapporteurs Jean-Pierre Sueur (PS) et Muriel Jourda (LR), il s’agit d’aller jusqu’au bout du travail, avec l’objectif de déterminer s’il y a eu des dysfonctionnements dans les rouages de l’État.
« Diplomatie parallèle »
La commission avait demandé des explications à l’Élysée et au gouvernement le 28 décembre sur « les conditions dans lesquelles M. Alexandre Benalla a pu faire usage de passeports diplomatiques » après son licenciement. La presse avait révélé que l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron disposait toujours de passeports diplomatiques et qu’il effectuait des voyages d’affaires auprès de dirigeants africains, « alors même qu’il avait déclaré, lors de son audition sous serment du 19 septembre 2018, les avoir laissés dans le bureau qu’il occupait à l’Élysée », a souligné la commission dans un communiqué.
Les sénateurs vont se pencher sur « les passeports et ce à quoi ils servent. S’il avait utilisé simplement les passeports par commodité pour aller en vacances à l’île Maurice, pas de problème. Quand il va voir le frère du président du Tchad, qui a un rôle éminent en matière de sécurité et d’importation d’armes au Tchad et qu’il le fait avec un passeport officiel, on peut quand même s’interroger sur le rôle réel de M. Benalla dans une diplomatie parallèle », a affirmé François Grosdidier (LR), membre de la commission des Lois.
L’affaire se poursuit aussi sur le terrain judiciaire. Outre l’enquête ouverte cet été sur les violences du 1er-Mai, le parquet a ouvert le 29 décembre une seconde enquête, cette fois sur les passeports diplomatiques, pour « abus de confiance », et « usage sans droit d’un document justificatif d’une qualité professionnelle ». Patrick Strzoda a été interrogé la semaine dernière par la police judiciaire dans le cadre de cette nouvelle enquête.
France 24 et AFP