
Dans une interview accordée à plusieurs médias , le ministre des affaires étrangères, Robery Dussey revient sur les activités diplomatiques de l’année 2022 finissante et jette un regard sur la nouvelle qui s’annonce aussi dense et riche.
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Question 1 : Professeur Robert Dussey, bonjour. Depuis plusieurs années, vous nous avez habitués à présenter à la fin de chaque année les résultats de l’action diplomatique du Togo. 2022 ne fait pas exception à cette règle. Observateurs extérieurs que nous sommes, nous, hommes et femmes de médias, sommes tentés de dire que la diplomatie togolaise a remporté beaucoup de succès cette année, compte tenu des nombreuses distinctions qui vous ont été décernées. Qu’en dites-vous, monsieur le ministre?
Robert Dussey : Je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’attention particulière que vous accordez à l’action diplomatique du Togo. Pour revenir à votre question, je voudrais dire que vous n’avez pas tort de penser que la diplomatie togolaise a fait de grands progrès en 2022. Les distinctions auxquelles vous faites référence, loin d’être un motif de satisfaction personnelle, constituent plutôt la reconnaissance de la pertinence de la vision politique internationale du Chef de l’Etat, Son Excellence Faure Essozimna GNASSINGBE, à qui on ne peut reprocher qu’une chose, celle de rêver grand pour son pays. Sous son impulsion et conformément aux priorités qu’il a définies, nous avons œuvré au renforcement de l’attractivité économique du Togo, pour apporter notre contribution à la construction et à la consolidation de la paix et de la stabilité dans notre espace régional. et de renforcer le rayonnement de notre pays dans le concert des nations sans oublier notre engagement auprès de la diaspora.
Question 2: …. et quels sont les principaux projets sur lesquels votre action s’est concentrée ?
Robert Dussey : Tout d’abord, celui de l’engagement pour la paix sans lequel rien ne peut être fait. Comme vous le savez déjà, la paix et la sécurité dans les régions du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont mises à rude épreuve depuis plusieurs années par les attaques répétées des groupes terroristes armés. Longtemps cantonnées à la bande sahélo-saharienne, ces attaques touchent malheureusement de plus en plus les pays du golfe de Guinée, dont le Togo.
A cette fragilité s’ajoutent des instabilités politiques dans plusieurs pays de la région suite à des coups d’Etat. Prenant ses responsabilités, le Togo s’implique activement sur plusieurs fronts pour aider les pays frères en difficulté, comme le Mali, à retrouver le chemin de la normalité par le dialogue et la concertation. Toujours fidèle à sa tradition de construction de la paix, notre pays sert également d’intermédiaire entre les pays africains dans le froid. Des activités telles que le Colloque international de Lomé sur la gestion des transitions politiques et le renforcement de la résilience face à l’extrémisme violent le 6 mars 2022, la 3ème réunion du Groupe d’appui à la transition au Mali (GST-Mali), tenue à Lomé le 06 septembre 2022 et la co -organisation de la 3ème édition du forum régional sur l’éducation à la paix par le dialogue intra- et interreligieux qui a d’ailleurs consacré Lomé « la capitale de la paix, de la médiation, dialogue et tolérance », s’inscrivent dans cette dynamique d’affirmation du leadership de notre pays sur ces thématiques. Il en est de même du lancement à Lomé par la Commission de l’Union Africaine de l’édition 2022 du mois d’amnistie.
Puis, en 2022, le Togo a plaidé en faveur d’un multilatéralisme plus juste et plus équitable, moteur d’un développement stable et d’une croissance mondiale soutenue. Notre pays condamne vigoureusement ces champions du multilatéralisme qui, selon leurs intérêts, piétinent ses fondements. Tout en réaffirmant son attachement au multilatéralisme, le Togo invite néanmoins à une remise en cause de ses fondements, à la lumière des réalités de notre temps et dans une optique afro-centrée.
La voix de l’Afrique ne semble malheureusement pas être entendue, car certains ne veulent tout simplement pas que l’Afrique soit un continent fort. Mais nous encourageons les Africains à sortir de la torpeur et de l’engourdissement hérités du colonialisme pour se préoccuper de la place qu’occupe l’Afrique sur la scène mondiale. A nous de faire en sorte que nos pays ne soient plus seulement un réservoir de voix ou des zones d’influence pour les autres, en prenant conscience de la responsabilité spécifique de notre continent, qui a son mot à dire. L’Afrique n’attend pas la charité mais plus d’égalité, de respect, d’équité et de justice. Ceux qui veulent aider l’Afrique doivent le faire en tenant compte des priorités définies par celle-ci.
Question 3 : Il est clair que la place de l’Afrique dans le monde est un sujet qui vous préoccupe profondément. Nous l’avons ressenti lors de votre discours à la 77e session de l’Assemblée générale de l’ONU où vous avez évoqué le concept d’africanophonie. De quoi s’agit-il ?
Robert Dussey : L’africanophonie est l’ensemble des peuples et des peuples africains qui parlent l’une des langues africaines, entendues ici non seulement comme un moyen de transmission de la pensée mais aussi comme l’expression d’une identité culturelle. L’africanophonie est donc la reconnaissance et l’acceptation de notre histoire, de notre culture. Elle est l’expression de valeurs propres à l’Afrique, qui est en soi une puissance culturelle. Si l’Afrique veut être considérée à sa juste valeur par le reste du monde, si elle veut faire entendre sa voix sur les grands enjeux internationaux, elle doit s’imposer comme une singularité et cesser de vouloir à tout prix s’identifier à tel ou tel bloc de pensée. Sur ce point, l’Africain a un travail à faire sur lui-même pour assumer son identité intrinsèque.
Les concepts d’Afrique francophone, anglophone, lusophone, arabophone, etc., sont des conditionnements épistémologiques historiques et idéologiques dont il faut sortir. L’Afrique, c’est tout simplement l’Afrique. Il est vrai qu’en Afrique beaucoup parlent des langues telles que le français, l’anglais, le portugais, l’espagnol, mais cela ne suffit pas pour balayer les profondes réalités civilisationnelles et anthropologiques qui sont uniquement africaines. Dans la dynamique de la conscience panafricaine contemporaine, nous affirmons clairement notre volonté de sortir de la logique d’auto-conditionnement par autrui. C’est à l’honneur et à l’avenir de l’Afrique de sortir du regard exogène à travers lequel les autres ne voient en Afrique que ce qu’ils veulent regarder et non ce que l’Afrique est ou entend être. être elle-même et reconstruire sa relation avec ses voisins dans d’autres parties de la planète.
Par exemple, dans les conflits auxquels le monde est confronté aujourd’hui, l’Afrique a son mot à dire, son rôle à jouer. Il s’agit, sans être naïf, d’œuvrer au retour de la paix par le dialogue et la concertation entre peuples frères en conflit. C’est une des valeurs que portent toutes les cultures africaines, valeurs que nous devons promouvoir et assumer à travers l’africanophonie.
Question 4 : Au niveau multilatéral, l’adhésion du Togo au Commonwealth le 25 juin a été l’aboutissement d’un long processus. Pourquoi ce choix et qu’est-ce que le Togo y gagne ?
Robert Dussey :L’adhésion du Togo au Commonwealth est une décision souveraine mûrement réfléchie. L’acceptation de la candidature du Togo à l’adhésion est avant tout la reconnaissance des progrès considérables réalisés ces dernières années par notre pays non seulement en matière de bonne gouvernance, de démocratie et de droits de l’homme, mais aussi en matière de réformes. de la communauté des affaires. Le processus était laborieux et très exigeant. L’appartenance d’un pays à de grands ensembles régionaux ou internationaux est un facteur d’amélioration de son influence diplomatique. En choisissant le Commonwealth, notre pays vise à diversifier ses partenariats. Le Togo ne tourne pas le dos à ses familles traditionnelles, mais nous trouvons économiquement utile de faire partie du Commonwealth, qui représente un marché d’environ 2,5 milliards de consommateurs.
Question 5 : Mais Monsieur le Ministre, le rayonnement diplomatique d’un pays ne s’obtient pas seulement par son appartenance à de grandes organisations, mais aussi par le placement de ses ressortissants dans des organisations internationales. A cet égard, le Togo semble être en retard…
Je ne parlerai pas de retard mais des possibilités qui restent à explorer. Dans certaines organisations, le Togo a atteint ou dépassé son quota de représentativité. Notre ambition n’est pas seulement de faire entrer le plus de compatriotes possible dans les organisations internationales ou les groupes multinationaux, mais aussi de travailler à promouvoir ceux qui y sont déjà pour les élever à des postes de responsabilité. C’est le nombre, mais c’est encore mieux de viser la qualité de la représentativité. Nous saluons donc l’élection le 25 mars 2022 de notre compatriote, M. Gilbert Fossoun HOUNGBO à la tête du Bureau International du Travail (BIT). La véritable influence se situe à ce niveau. Dans le cadre du renforcement de la présence de nos compatriotes dans les organisations internationales, mon département a adopté une stratégie de placement et de promotion des cadres togolais dans ces instances,
Question 6 : Parlons maintenant de la coopération bilatérale si cela ne vous dérange pas. Dans ce registre, quelles avancées ont été réalisées en 2022 ?
Au niveau bilatéral, nous avons poursuivi la dynamique de diversification des partenaires dont nous avons besoin pour accompagner la mise en œuvre de la feuille de route gouvernementale Togo 2025. En 2022, nous avons décidé de renforcer notre coopération bilatérale avec les pays du Proche et du Moyen-Orient sans laisser de côté nos partenaires traditionnels. Ainsi, au début de l’année, à l’invitation de mon homologue iranien le Dr Hossein AMIRABDOLLAHIYAN, j’ai effectué une visite de travail à Téhéran où j’ai eu des entretiens avec le Président de la République Islamique d’Iran, Son Excellence Monsieur Ebrahim RAISSI et d’autres personnalités du monde politique et économique.
Le renforcement de la coopération dans les domaines de la sécurité, du commerce, de l’investissement, de la santé, de l’agriculture et des mines a été au cœur des échanges.
Comme la plupart de nos accords avec Israël datent des années 1960, il est devenu indispensable de les mettre à jour pour mieux les adapter au contexte actuel. C’était l’objet de ma visite officielle à Jérusalem, du 28 mai au 4 juin 2022, à l’invitation de mon homologue israélien, M. Yaïr LAPID. Nous en avons profité pour définir de nouveaux domaines prioritaires de coopération, à savoir : l’agriculture et l’irrigation, l’adaptation au changement climatique, la sécurité, la santé, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’industrie, les énergies renouvelables, l’éducation et la formation.
Au Pakistan, où je me suis rendu du 10 au 12 août 2022, j’ai mis un accent particulier sur les opportunités d’affaires offertes par la plateforme industrielle Adétikopé et la volonté du Togo d’affirmer davantage sa vocation de hub logistique. et services à travers le renforcement de ses infrastructures portuaires, aéroportuaires et routières. Avec les autorités pakistanaises, nous avons également ouvert des négociations en vue de la signature de plusieurs accords, dont un accord réciproque d’exemption de visa au profit des titulaires de passeports diplomatiques et de service.
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Nos relations avec le Royaume d’Arabie Saoudite ont également été revigorées en 2022. J’ai ainsi séjourné du 4 au 6 octobre 2022 à Riyad où j’ai rencontré mon homologue, Son Altesse le Prince Faisal Bin Fahran Bin Abdallah Al Saud ainsi que d’autres membres du gouvernement et des responsables des plus grandes entreprises saoudiennes. Outre la lutte contre le terrorisme, nous sommes convenus de donner un nouvel élan à nos relations dans les domaines de l’investissement, des mines, de l’agriculture et de l’énergie.
La coopération avec la Turquie a été renforcée par l’ouverture effective de notre ambassade à Ankara cette année. Les premières consultations politiques entre nos deux gouvernements, conformément au protocole d’accord signé l’an dernier, ont eu lieu à Lomé le 24 juin 2022. Les travaux ont permis de faire le bilan de la coopération et d’identifier les actions à mener. d’accélérer la conclusion des accords en cours de négociation et la mise en œuvre des partenariats décidés par les deux Chefs d’Etat lors de la visite à Lomé de Son Excellence Monsieur Recep Tayyip ERDOGAN, le 19 octobre 2021.
Je citerai également la visite à Lomé du Directeur Général du Département des Affaires Africaines au Ministère des Affaires Etrangères de la République Populaire de Chine et Secrétaire Général du Forum de Suivi de la Coopération Chine-Afrique (FOCAC), M. WU Peng , en juin 2022 Il a annoncé l’annulation de 1,5 milliard de FCFA de la dette togolaise.
Nos relations avec le Royaume du Maroc se sont également intensifiées, comme en témoignent l’ouverture cette année de l’Ambassade du Royaume du Maroc à Lomé et l’ouverture d’un Consulat Général du Togo à Dakhla, en plus de notre ambassade existante. déjà à Rabat. Afin de rapprocher les deux peuples, nous avons conclu un accord d’exemption de visa d’entrée pour les titulaires de passeports ordinaires, qui est entré en vigueur le 09 septembre 2022. Ce sont là quelques initiatives au niveau bilatéral parmi tant d’autres dont notre pays peut se targuer de 2022.
Question 7 : Une autre partie importante de vos attributions est la diaspora ! Il n’y a plus aucun doute sur votre engagement envers les Togolais de l’étranger. Nous avons vu cette année que malgré votre emploi du temps chargé, vous prenez toujours le temps de rencontrer la diaspora togolaise lors de vos différentes missions. A ce sujet, quelles sont les réalisations concrètes ?
Robert Dussey :Nous avons décidé de maintenir un dialogue constant avec la diaspora pour mieux comprendre leurs attentes et aussi pour leur expliquer les orientations de la politique de développement mise en œuvre dans notre pays. Il n’est pas dit que nous serons toujours d’accord sur tout. Mais le jeu en vaut la chandelle car le dialogue permet de dissiper une bonne partie des malentendus. Par exemple, l’accord tarifaire préférentiel que nous avons négocié avec certaines entreprises pour lesquelles ASKY répond à un besoin exprimé lors de ces rendez-vous. Aujourd’hui, tous les Togolais de l’étranger bénéficient d’une réduction de 12% sur le prix des billets vers les destinations desservies par ASKY. Les compatriotes de la diaspora mentionnent également à plusieurs reprises les difficultés qu’ils rencontrent pour obtenir ou renouveler leurs documents d’identité. En réponse, nous avons, avec l’aide d’autres administrations compétentes, a envoyé une mission itinérante en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Nigeria et au Mali pour établir les certificats de nationalité. Au total, 2 284 demandes ont été enregistrées. Cette initiative, très appréciée des bénéficiaires, devrait être pérennisée dans la mesure du possible.
Par ailleurs, afin de mieux articuler les politiques publiques en faveur de sa diaspora, il s’avère nécessaire de bien connaître la diaspora togolaise en termes de ses effectifs, de sa répartition géographique dans le monde et de ses profils socioprofessionnels. Nous avons ainsi organisé, de mai à juin 2022, le premier recensement des Togolais de l’étranger et mis en place une base de données fiable et sécurisée sur la diaspora togolaise. Le Togo est l’un des rares pays à avoir entrepris une opération d’une telle envergure.
2022 a également été l’année du renouvellement des membres du Haut Conseil des Togolais de l’Extérieur (HCTE). Les 48 nouveaux délégués pays ont été formés et officiellement installés dans leurs fonctions lors du forum HCTE-REUSSITE DIASPORA qui s’est tenu à Lomé les 22 et 23 novembre.
J’en profite pour féliciter la diaspora qui entreprend et investit au Togo. Ils sont en effet très nombreux à porter plusieurs projets et entreprises. La tâche n’est souvent pas facile pour eux, nous en sommes conscients. Je tiens à les rassurer du soutien et de l’attention du gouvernement, à travers le Guichet Diaspora qui leur est dédié.
Question 8 : Monsieur le Ministre, on imagine que si la diplomatie togolaise enregistre une telle performance, c’est parce que vous disposez d’un personnel compétent sur lequel vous vous appuyez… ?
Robert Dussey :Le personnel du ministère des Affaires étrangères est à l’image de la société : il y a d’excellents fonctionnaires et d’autres moins bons. Pour transformer la diplomatie togolaise, nous avons compris qu’il fallait travailler à la fois sur l’homme, le cadre et la méthode de travail. Travailler sur les gens, c’est s’assurer que le mérite des meilleurs est reconnu et valorisé. C’est aussi donner à ceux qui sont dans la moyenne mais qui ont la volonté de se surpasser la chance et l’opportunité de s’améliorer tant sur le plan personnel que professionnel. C’est le sens de notre initiative pour le prix d’excellence que nous avons institué.
Travailler sur le cadre, c’est améliorer les conditions de vie et de travail du diplomate togolais tant au siège que dans nos missions diplomatiques et postes consulaires. Ce volet est un peu complexe car il implique d’autres administrations, mais nous y travaillons.
Quant aux méthodes de travail, il fallait renforcer les capacités managériales des fonctionnaires du ministère afin de les mettre en conformité avec les outils modernes de la diplomatie. En plus des opportunités de stages à l’étranger que nous négocions et qui permettent la formation continue des diplomates à l’étranger, nous avons organisé des ateliers de coaching et de mise à niveau.
Question 9 : Nous en avons assez de votre temps. Nous allons devoir conclure. Auriez-vous un dernier mot ?
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Robert Dussey :Nous sommes en fin d’année. Je saisis cette occasion pour exprimer à tous les togolais mes vœux les plus sincères de santé, de bonheur et de prospérité pour l’année 2023.
Je prie pour que Dieu accorde au Chef de l’Etat, Son Excellence Faure Essozimna GNASSINGBE, la santé, la protection et la paix intérieure. Je présente ses vœux au Premier Ministre, Madame Victoire TOMEGAH-DOGBE et à l’ensemble du Gouvernement.
Au personnel du ministère des Affaires étrangères, je souhaite une année 2023 remplie de santé, de bonheur et de progrès dans leur vie professionnelle et personnelle. Enfin, à vous hommes et femmes de presse, recevez également mes vœux de santé et de prospérité pour cette nouvelle année.
Bonne année à tous !
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Merci.