(24hinfo)-Se lancer dans un doctorat, c’est accepter de remettre en question ses certitudes et ses acquis pour s’aventurer sur des terrains jusque-là inexplorés. Dans ce face à face de trois à cinq ans tout à la fois passionnant et éprouvant qu’il engage avec son sujet, le jeune chercheur n’est cependant pas seul. Comme le précise l’arrêté fixant le cadre national de la formation doctorale en France, il est « placé sous le contrôle et la responsabilité d’un directeur de thèse » (article 16).
Mais en quoi cet accompagnement consiste-t-il précisément ? Jusqu’où l’implication du directeur de thèse peut-elle aller et quelles en sont les limites ? Les points de vue divergent mais la question ne laisse jamais indifférent. Au-delà des témoignages personnels, voici quelques points de repère pour mieux comprendre ce qu’un doctorant peut attendre de son mentor.
Guider sans imposer
En tant qu’encadrant du travail doctoral, le directeur de thèse a pour rôle principal d’orienter le doctorant dans ses choix relatifs à l’état de l’art, à la méthodologie de recherche, à l’analyse scientifique, et la structure de la thèse. Signée en général par les différentes parties prenantes, la charte de thèse peut spécifier ces responsabilités, notamment l’élaboration du sujet : le directeur de thèse doit « s’assurer que le projet est original et ne reproduira pas des recherches effectuées par ailleurs précédemment », rappelle ainsi la charte de l’Université Paris-Saclay.
Prenons en compte une nuance de taille : si le directeur de thèse est responsable de l’accompagnement scientifique, ce n’est pas à lui de dicter les choix qui s’imposent. En début de thèse, il est fréquent que les doctorants soient désemparés devant l’étendue des travaux disponibles autour de leur sujet. Mais le directeur de thèse n’a pas pour obligation de mettre à disposition une revue de littérature exhaustive pour le doctorant. Il peut recommander certains articles clefs ou suggérer des auteurs incontournables ou ne donner que de vagues indications.
Le doctorant reste responsable de sa propre thèse : son autonomie scientifique doit se développer tout au long de son doctorat pour que la thèse soutenue démontre sa capacité à produire une recherche originale. Le directeur accompagne le doctorant, mais ne se substitue pas à lui sur le plan scientifique.
S’assurer des conditions de travail
En sortant du cadre purement scientifique, un autre rôle important du directeur de thèse est de s’assurer des bonnes conditions de travail des doctorants. Cette responsabilité est certes partagée avec l’école doctorale, de même qu’avec l’entreprise lorsque la thèse est en convention CIFRE. La plupart des directeurs de thèse s’inquiéteront du financement et des conditions de travail de leurs doctorants. Certaines disciplines ont toutefois des us différents : si en sciences de gestion, de même qu’en biologie, il est très rare d’encadrer une thèse non financée, cela peut être plus fréquent dans les lettres.
Cette charge est en France souvent partagée avec la direction de l’unité de recherche, « responsable […] de la qualité des conditions de travail nécessaires à la bonne réalisation de la recherche engagée », comme le mentionne la charte de l’Université de Strasbourg.
L’ouverture internationale des doctorats rend un peu plus complexe cette problématique. Des recherches récentes mettent en avant la complexité des programmes internationaux : d’après les statistiques de l’Unesco, la Chine a actuellement plus de 847 000 étudiants à l’étranger, et l’Inde plus de 278 000. Pour ces deux cas, le premier pays d’accueil est les États-Unis. Se posent alors des questions de différences culturelles concernant par exemple les normes implicites en plus de toutes les questions pratiques d’adaptation à la vie du pays d’accueil, de même que des problématiques administratives pouvant devenir de véritables difficultés quotidiennes.
Créer une relation de confiance
On l’oublie parfois, la relation entre un directeur de thèse et un doctorant est avant tout une relation humaine. Pour certains, le directeur de thèse peut « faire ou défaire » un doctorant. Le directeur de thèse s’engage dans une relation à long terme, avec un doctorant qui s’engage dans un des plus importants projets de sa vie professionnelle ou personnelle.
Dans cette relation qui sort du cadre scientifique strict, il s’agit de mieux connaître les motivations du doctorant. Il est également important de créer une relation de confiance pour que les retours donnés – qu’ils soient positifs ou négatifs – puissent être intégrés par le doctorant. Encourager le doctorant à surmonter les moments difficiles, faire preuve d’ouverture aux idées nouvelles, inciter les doctorants à exceller, voilà des dimensions essentielles mais parfois difficiles à travailler et à transmettre, d’autant plus que les directeurs de thèse ont rarement l’occasion de se mettre eux-mêmes en posture d’apprenant.
Mais quelques rares séminaires internationaux ou conférences commencent à proposer des formations sur le sujet aux enseignants-chercheurs. Un serious game conçu à Grenoble Ecole de Management, visant ces compétences extra-scientifiques, a d’ailleurs reçu un prix d’excellence à « Re-Imagine Education », la compétition internationale de référence pour les initiatives innovantes concernant l’apprentissage et l’employabilité des étudiants.
Aider à tisser un réseau
Pour discuter de l’orientation professionnelle des doctorants, il est nécessaire de dissocier les deux grandes options de carrières : les carrières académiques ou les carrières en entreprise. Le directeur de thèse est moins engagé dans ce deuxième cas, où son influence sera nécessairement limitée. Les profils concernés étant souvent dirigés vers le dispositif Cifre, ou ayant déjà une expérience entreprise, ces doctorants compteront davantage sur leur propre réseau.
C’est donc dans la socialisation du chercheur en devenir que le directeur de thèse peut jouer un rôle important. Pour un doctorant qui souhaite avoir une carrière internationale, il est important que le directeur de thèse soit informé le plus tôt possible de ce projet. Cela permet ainsi d’aider le doctorant à choisir ses conférences académiques en fonction de sa communauté de recherche et de leur renommée, à développer des articles scientifiques en parallèle ou à la place du manuscrit traditionnel de thèse, et à identifier les universités ou écoles qui seront des recruteurs potentiels.
Enfin, le directeur de thèse peut jouer un rôle important dans la transmission de l’éthique du chercheur. Par exemple, les pratiques en termes de plagiat diffèrent selon les cultures nationales : pour certaines cultures, citer des verbatim d’autres chercheurs sans faire explicitement référence à leurs travaux est leur faire honneur. Discuter de la confidentialité assurée par le chercheur, du respect des données, de l’intégrité des répondants ou de la précision des bases de données sont autant de sujets qu’un directeur peut aborder, voire contrôler auprès de ses étudiants. En soutien au directeur de thèse, certaines universités ont mis en place des comités, comme cela se pratique aux USA avec l’Institutional Review Board, qui examine les protocoles de recherche des doctorants avant début de la collecte de données.
Source : http://theconversation.com/un-directeur-de-these-a-quoi-ca-sert-100269