Pour comprendre les sentiments contradictoires qui animent le commandant Léandre A. N’TSOUGAN et ses éléments de l’unité togolaise de la Police des Nations unies (UNPOL) de la MINUSMA en cette matinée du 25 août, il faudrait convoquer des souvenirs vieux de quelques mois, ceux de leur vie à Ménaka, ville du Nord du Mali. On pourrait raconter 140 histoires d’hommes et de femmes qui ont partagé des matins brumeux, secs et poussiéreux, des réveils sous hautes alertes sécuritaires, des après-midi chaudes et suffocantes à braver la menace sécuritaire insidieuse et quasi-permanente.
140 histoires qui auraient toutes le même dénominateur commun : détermination, sacrifice, sens élevé du devoir. Leurs tranches de vie à Ménaka reflèteraient aussi la conviction commune qui poussaient ces 140 hommes et femmes à enfiler chaque jour leurs équipements de protection personnelle pour des patrouilles de tous les risques dans les ruelles de Ménaka et au-delà. Au moment du départ, de quitter définitivement la base, ces histoires affluent en vagues serrées dans leurs pensées et à travers les souvenirs et les effets personnels qu’ils emportent dans leurs bardas. Ce départ reflète de manière concrète la Résolution 2690 qui met fin au mandat de la MINUSMA et demande son retrait ordonné et en toute sécurité avant le 31 décembre 2023.
Dans le barda du commandant N’TSOUGAN, il y a son paquetage, quelques gadgets de la MINUSMA, des vêtements, mais aussi des livres. Alors qu’il rangeait ses derniers effets personnels, il s’est vite rendu compte que son sac ne pourra en contenir qu’une partie. Il faut faire un choix. On peut choisir entre des objets mais on ne choisit pas ses souvenirs. Les bons comme les mauvais moments s’imposent à nous. Le commandant emporte avec lui mille souvenirs et anecdotes. Il se souvient du jour même de l’arrivée de son unité. Ses éléments et lui n’avaient pas eu le temps de s’installer que le camp était lourdement attaqué. Des tirs en direction du camp avaient fait des dégâts matériels importants. N’TSOUGAN et ses éléments avaient vite pris la mesure des défis qui les attendaient dans les mois à venir. Ces défis, le commandant et son unité estiment les avoir fièrement relevés conformément aux priorités confiées à la MINUSMA.
En sept années de présence de la mission onusienne à Ménaka, les unités de police togolaises qui se sont succédées ont partagé le même credo, celui laissé par le Lieutenant-Colonel KOURA, commandant du premier contingent de policiers togolais, sur une banderole bleue. Elle trône encore fièrement sur un mur et ses inscriptions sont encore bien lisibles : « Protéger les populations civiles contre les violations des droits de l’homme et autres formes d’insécurité est noble et exaltant. Pour y parvenir, il faut des femmes et des hommes conscients des enjeux et prêts à sacrifier leur vie au service de la paix. ». Ce matin, il faut décrocher la banderole, la ranger et éventuellement décider de qui l’emporterait chez lui comme souvenir.
Des jours auparavant, il a fallu mobiliser l’essentiel du bataillon pour nettoyer et ranger chaque recoin de la caserne ; un remue-ménage nécessaire pour laisser aux futurs occupants des lieux une caserne propre et vivable. Chaque dortoir est soigneusement inspecté pour s’assurer de la présence et du bon état du mobilier, des appareils électroniques et des installations électriques et sanitaires. Il fallait aussi vérifier le fonctionnement des prises électriques, la desserve en eau, l’air conditionné, les ampoules et signaler tout dysfonctionnement à l’équipe de gestion du camp. Les déchets soigneusement triés et rangés seront ensuite enlevés et détruits dans les règles de l’art par une équipe spécialisée.
Ils sont 140. Et ce matin, rassemblés une dernière fois autour du drapeau, la main sur le cœur, ils ne diront pas que les mots d’ordre du jour mais aussi une prière pour Ménaka. Leur départ de cette ville conclut un chapitre éloquent de leurs contributions personnelles aux efforts de stabilisation de la région. Il y a à peine quelques heures, lors de la cérémonie de rétrocession du camp de Ménaka aux autorités maliennes, la Cheffe du bureau régional de la MINUSMA, Mme Fabiola NGERUKA WIZEYE avait une fois de plus loué l’apport énorme qu’ont fourni le commandant N’TSOUGAN et ses éléments dans les efforts de sécurisation de la ville. En allant présenter au commandant ses vœux de bon retour après des siens, Mme NGERUKA WIZEYE n’a pas manqué de réaffirmer sa satisfaction du travail abattu par l’unité avant de regarder la longue colonne de treillis s’éloigner sur le tarmac pour s’installer dans les hélicoptères des Nations unies. Le dernier policier, le commandant N’TSOUGAN, quitte Ménaka. Son périple le mènera à Gao, puis à Bamako, avant de s’envoler définitivement pour le Togo.
Depuis le hublot de l’hélicoptère qui les emmène, N’TSOUGAN regarde pour une dernière fois, les vastes plaines désertiques autour de la ville. Presque pas de mouvements sur le grand axe routier qui dessert la ville, des dromadaires qui s’abreuvent aux quelques rares points d’eau et l’emblématique porte de ville « Bienvenue à Ménaka » qui, à cette altitude, ressemble à une minuscule tache de peinture blanche isolée dans une végétation clairsemée. Tout va vite dans sa tête. Mais dans son cœur, le sentiment de fierté est plus fort. Fierté d’avoir servi Ménaka avec pour souci majeur, ce que l’histoire de cette ville retiendra de leur passage. Quand l’orage sera passé, les témoins de leur histoire se souviendront-il encore de ces femmes et hommes aux treillis violets et gris frappés de l’écusson de la police togolaise ? L’histoire de ces Casques bleus qui arpentaient la ville tous les jours continuera-t-elle d’inspirer et susciter de la vocation chez les plus jeunes ménakois ?
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