
Le coronavirus, qui a mis le monde aux arrêts pendant plusieurs semaines, nous interpelle, nous humains, et nous met face à certains questionnements d’ordre existentiel. Où allons-nous d’un pas si rapide ? L’humanité va-t-elle à sa perte ou suit-elle sa propre destination ? Ces questionnements qui ne peuvent laisser indifférente la conscience humaine nous convainquent d’une chose : l’expérience humaine de la liberté dans l’histoire, théâtre des contrastes, peut conduire au meilleur comme au pire.
Quand le pire advient, il éprouve, mais constitue également une invitation de l’humanité à une réorientation de sa conduite existentielle. Les générations passent, mais l’humanité demeure et a un devoir de lucidité envers elle-même comme le coronavirus vient une fois encore de nous le rappeler.
Cette pandémie a eu raison des frontières nationales et continentales, et l’espace tricontinental ACP (Asie, Caraïbes, Pacifique) n’est pas à l’abri de sa sphère d’extension. La zone est moins touchée par la Covid-19, aussi bien en nombre de contamination qu’en mortalité, ce qui dément pour l’heure toutes les prédictions apocalyptiques.
Pour autant, les impacts de la pandémie sur les trois régions de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) sont bien réels. Ils doivent amener l’organisation à l’invention d’une stratégie interne de riposte aux pandémies et à mettre l’humain et le social au socle des relations avec ses partenaires.
En effet, les pays de l’OEACP, par-delà les spécificités nationales et régionales, ont un trait caractéristique commun : la vulnérabilité. Il s’agit d’une vulnérabilité plurielle parce que multisectorielle. La crise du coronavirus met à rude épreuve des systèmes de santé très fragiles, sous pression les mécanismes de solidarité nationale et les économies très vulnérables. Plusieurs pays de l’organisation vivent déjà les impacts économiques de la crise.
Les conséquences sont humainement coûteuses, socialement paralysantes et économiquement dangereuses. La croissance économique qui a permis à certains pays des ACP de se hisser au rang de pays à revenu intermédiaire est aujourd’hui fortement remise en cause. La crise économique que la Covid-19 impose aux pays risque à terme de faire basculer une proportion encore plus importante de populations dans la « pauvreté objective » et amplifier le niveau des vulnérabilités dans les trois régions.
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Il est temps d’agir
La condition commune de vulnérabilité des pays ACP, signe expressif d’une fragilité ontologique de fond qu’ils partagent avec toute la communauté humaine, les prédispose peu, aux niveaux opérationnel et économique, à la riposte contre la pandémie.
Une action collective coordonnée à l’échelle ACP et une stratégie interne de riposte pourraient cependant soutenir la lutte à l’échelle des trois régions. Suivant le nouvel esprit de l’accord de Georgetown, récemment révisé, et en fonction des défis actuels, à la fois sanitaire, sociaux, économiques, l’organisation doit intensifier sa coopération à l’échelle interne.
La crise du coronavirus invite les ACP à explorer leurs possibilités de coopération interne d’où pourra sortir d’actions innovantes. « Au commencement était l’action » (Goethe) et nous devons agir et surtout vite, le présent étant le moment du choix et de l’action (Simone de Beauvoir).
Bien heureusement, la coopération intra-ACP est à l’œuvre. En témoignent les initiatives et mesures prises par l’organisation en collaboration avec l’Organisation africaine des agriculteurs (PAFO) contre les impacts socioéconomiques de la pandémie sur les systèmes de production agricole et de fournitures alimentaires.
Elle doit être amplifiée à l’échelle transcontinentale ACP et déboucher sur une stratégie commune et un plan solide ACP de riposte au coronavirus. La stratégie devra être motivée par un engagement commun contre un même défi dans un sentiment de commune appartenance et de communauté de destin et avoir un volet économique conséquent destiné à soutenir la reprise économique des États membres.
La solidarité sauve
S’est tenu le 3 juin le Sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement, sur le thème « Transcender la pandémie de Covid-19 : Renforcer la résilience par le biais de la solidarité mondiale ». La réunion a répondu à cette exigence et a permis à l’organisation d’harmoniser à l’interne les stratégies et actions de riposte à la pandémie.
Les partenaires extérieurs appuient l’OEACP dans la riposte contre le coronavirus. L’Union européenne, par l’entremise du Comité de liaison Europe-Afrique-Caraïbes-Pacifique et surtout l’initiative Team Europ, a alloué une enveloppe de 20 milliards d’euros.
Elle a été présentée le 8 avril lors du lancement de la riposte européenne, sur le plan international, à la pandémie du coronavirus dans le cadre de la coopération. Le sommet extraordinaire du 3 juin a été également une occasion pour l’OEACP d’appeler à plus de solidarité mondiale en direction de ses membres en cette période de crise. En temps de crise la solidarité sauve.
L’organisation des États ACP et l’UE sont en pourparlers en vue de la redéfinition du cadre normatif et régulateur de leur partenariat dans sa phase post-Cotonou. La nature ne faisant rien en vain (Emmanuel Kant) et coïncidence historique oblige, les partenaires doivent clairement intégrer des clauses relatives aux pandémies et à leurs conséquences socioéconomiques.
L’humain, le social et la santé doivent être au cœur du post-Cotonou. « La répartition des bénéfices des relations mondiales ne dépend pas seulement des politiques intérieures, mais aussi de toute une gamme d’accords internationaux de nature sociale », rappelait Amartya Sen en 2012. Qui évoquait « les traités de commerce, le droit des brevets, les initiatives mondiales en matière de santé, les dispositions internationales pour l’éducation, les moyens de faciliter la diffusion des technologies, les accords de modération écologique et environnementale, le traitement des dettes accumulées ».
Un nouveau partenariat
Les pays de l’ACP et l’UE ont l’ambition de mettre le partenariat en cohérence avec la réalité du monde et les enjeux nouveaux liés au progrès humain. C’est pourquoi nous ne pouvons pas aller à la signature d’un nouvel accord de coopération sans nous interroger sur les conséquences et les implications de la Covid-19 pour le partenariat.
En tant qu’action, les négociations ont lieu dans un contexte de coronavirus qu’elles ne peuvent ignorer. Toute action, enseigne Edgar Morin, entre dans « le jeu des inter-rétro-actions » du contexte où elle a lieu et porte les empreintes du contexte. L’interrogation sur les implications de la Covid-19 pour le partenariat OEACP-UE n’est pas sans intérêt pour l’avenir du partenariat.
Sous-estimer les implications de la Covid-19 pour le partenariat OEACP-UE dans le processus des négociations traduirait un manque d’imagination en contradiction avec les ambitions des deux parties liées au progrès humain. La crise du coronavirus devient in fine un facteur qui nous oblige à faire évoluer le partenariat OEACP-UE et ceci dans le sens de l’histoire.
*Robert Dussey est ministre togolais des Affaires étrangères, de l’intégration africaine et des Togolais de l’extérieur (Togo)